Acuitem, expert et conseil en évaluation et modélisation financière 

Management package, gare à l'abus de droit !


Gonzague Chaussois
Associé
L’intensification des requalifications des gains issus de management packages en traitements et salaires a conduit de nombreux acteurs à s’interroger sur la valeur de ces derniers. S’il est communément admis aujourd’hui que la démonstration de la prise de risque financière du dirigeant nécessite entre autres l’intervention d’un expert indépendant en évaluation tel qu’Acuitem, il est en revanche plus rare de s’interroger sur le profil de gain du produit attribué. Ce dernier peut pourtant, sous couvert d’une enveloppe juridique anodine, revêtir le profil financier d’un produit atypique.

Les management packages aujourd'hui

La presse juridique et financière s’est abondamment fait l’écho ces dernières années de l’actualité des management packages. De l’instruction fiscale de mai 1995 à la loi Macron d’août 2015, l’évolution de la fiscalité a conduit les praticiens à rechercher des solutions financièrement acceptables et sécurisantes pour le bénéficiaire et l’émetteur du plan d’intéressement.

Rappel

  • mai 1995 : Instruction définissant les critères de requalification
  • janvier 2013 : Plus-values soumises à l'IRPP
  • janvier 2014 : Exclusion des BSA et ADP du PEA
  • avril 2015 : Publication de la carte des pratiques et montages abusifs
  • août 2015 : Loi Macron - allègement de la fiscalité des AGA et BSPCE

Les bons de souscription d’actions « BSA » ont laissé place aux actions puisqu’ils ne permettent pas de bénéficier d’un abattement pour durée de détention. Les produits émis actuellement sont ainsi majoritairement composés d’actions ordinaires « AO » ou de préférence « ADP » (éventuellement au sein d’un mécanisme d’AGA), les premières pouvant être inscrites en PEA et ayant la réputation de minimiser le risque de requalification, tandis que les secondes permettent d’introduire un effet de levier significatif et de réduire par conséquence l’investissement du dirigeant.

AO ou ADP : une question de sémantique ?

Sans nous prononcer sur la nature juridique des instruments que nous citons, nous attirons néanmoins votre attention sur les similitudes financières que peuvent proposer certains montages avec des schémas interdits. L’un des cas d’école correspond bien entendu à celui consistant à loger des BSA au sein d’un Holding dont les actions ordinaires seraient elles-mêmes détenues en PEA. L’administration fiscale remettrait légitimement en cause ce montage au titre de l’abus de droit dans la mesure où il permet de faire bénéficier aux BSA, par simple interposition d’une société, de l’enveloppe fiscale du PEA.

AO et ADP, qui est qui ?

Les ADP émises au profit de dirigeants lors d’un LBO comportent souvent une clause de performance indexée sur un multiple ou TRI de sortie du partenaire financier. Cette dernière stipule par exemple que les détenteurs d’ADP percevront un pourcentage de la plus-value du fonds au-delà d’un TRI cible. Le capital est ainsi structuré entre deux catégories d’actions : celles du fonds, souvent ordinaires et celles des dirigeants, souvent de préférence. Il est pourtant parfaitement envisageable d’inverser les rôles et d’imaginer une situation au sein de laquelle le fonds détiendrait des ADP dont la plus-value est capée au-delà de l’atteinte d’un certain seuil de TRI et les dirigeants des AO. Ce faisant, les dirigeants bénéficiaires détiendraient alors des AO qu’il serait théoriquement possible de loger au sein d’un PEA.
Ce schéma séduisant pourrait cependant légitimement être remis en cause en arguant d’une structuration visant uniquement à inclure dans un PEA des actions, certes ordinaires sur le plan juridique, mais dont le profil de gain est extraordinaire.
Cet exemple traduit toute la difficulté d’appréciation du caractère ordinaire d’une action, en poussant plus loin le raisonnement, de nombreux autres schémas pourraient être remis en cause, notamment ceux qui incluent des passifs élevés.

Lorsque le profil de gain des AO n'est plus ordinaire

Qualifié souvent de « Sweet Equity », l’investissement d’un dirigeant en AO lorsque le partenaire financier détient des obligations convertibles « OC » dont la conversion est restreinte par une prime de non-conversion peut rapidement se révéler être identique à un schéma d’ADP. Les AO bénéficient alors, tout comme dans l’exemple précédent, d’un effet de levier significatif en cas de succès. Rappelons à cet effet que d’un point de vue financier la détention de ce type d’OC est similaire à l’achat d’AO et la vente d’une option aux autres actionnaires, ces derniers sont donc implicitement détenteurs d’un produit optionnel.
Plus généralement, la présence de passifs confère à toute AO un caractère optionnel. Les actions d’une société endettée auront de la valeur uniquement si ses actifs ont une valeur supérieure à celle de la dette à l’échéance de cette dernière. Ce constat est le fondement même de l’approche de Merton d’évaluation des fonds propres qui stipule que les actions sont des options dont le sous-jacent est la valeur d’entreprise et le prix d’exercice la valeur de la dette. La frontière entre produit optionnel et AO est ainsi inexistante d’un point de vue financier.

La sécurisation du management package

L’optimisation fiscale ou la simple structuration financière d’une opération peut conduire à des situations au sein desquelles il est difficile de se prononcer quant au caractère ordinaire ou non d’une AO. Il semble cependant qu’une dysmétrie ainsi qu’une forte volatilité dans le profil de rendement d’une action serait de nature à la dénaturer de son caractère ordinaire. Ainsi, la mise en place d’AO dont le profil de gain, en raison de la présence d’autres produits financiers optionnels, deviendrait lui-même fortement optionnel, serait susceptible selon nous de lui conférer un caractère préférentiel plutôt qu’ordinaire.
L’appréciation du caractère ordinaire d’une AO doit se faire malheureusement au cas par cas, il n’est en effet pas possible de réaliser une cartographie des risques relevant de l’ordinaire de ceux relevant d’un montage financier.

La raison de l’administration fiscale n’est peut-être pas toujours la meilleure, mais à vouloir trop défendre le caractère ordinaire d’une action imbriquée au milieu d’autres produits extraordinaires, elle saura arguer que si ce n’est toi c’est donc ton frère.