Management packages, les salariés pigeons ?
Proposition de loi de l’Assemblé Nationale visant à limiter les management packages lors d’opérations de reprise
« Art. 445 1 2. – Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par quiconque, de proposer, à tout moment, directement ou indirectement, au salarié d’une entreprise exerçant des fonctions de direction, des offres, des promesses, des dons ou des avantages quelconques, lors d’une opération de rachat d’entreprise faisant entrer en concurrence plusieurs repreneurs, lorsque cette promesse a pour objectif d’influer sur le processus de décision de l’entreprise. »
Proposition de loi - 19 novembre 2024 [...]
Cette proposition de Loi du 19 novembre vise tout simplement à interdire, lors d’une opération de rachat, l’accès au capital de salariés exerçant une fonction de direction. Un repreneur se retrouverait ainsi dans l’illégalité en proposant aux équipes de direction des actions gratuites, des BSPCE, un FCPE ou encore une souscription de titres dans le cadre de son offre de reprise. Sauf à démontrer que ces produits sont sans incidence sur le processus de décision… Il est naturellement évident qu’entre deux propositions un dirigeant (a fortiori s’il est par ailleurs cédant) portera une attention plus particulière à celle qui lui permettra de participer à l’aventure capitalistique, est-ce par ailleurs gênant si le cédant en est informé ? C’est sans doute sur le point de l’information auprès du cédant que le texte eût été plus pertinent. Un actionnaire partant à la retraite sera ainsi heureux d’apprendre qu’il ne peut plus céder son activité à ses collaborateurs ou leur proposer un intéressement capitalistique, cela risquerait de les influencer dans le processus de décision.
Amendement du Sénat visant à fiscaliser en salaire les plus-values de titres
Amendement du Sénat - 29 novembre 2024 [...]
A première vue moins agressif que la proposition de loi de l’Assemblée Nationale, cet amendement, vise à fiscaliser en traitements et salaires une partie du gain actionnarial lorsque ce dernier est issu de titres acquis « en lien avec la fonction du bénéficiaire » au sein de la Société.
La fraction de plus-value allant au-delà d’un multiple de 3 fois le multiple de performance globale des capitaux propres de la société émettrice sera, sur le plan fiscal, assimilable à du salaire (et par conséquence éligibile également aux cotisations sociales).
Exemple :
Un bénéficiaire se voit attribuer en 2024 des actions gratuites (donc en lien avec l’exercice de ses fonctions) et ces dernières sont définitivement acquises en 2025 pour être revendues en 2029. Si les capitaux propres ont réalisé une performance de x2 entre 2024 et 2029, la part de plus-value attachée aux actions gratuites sera éligible à la Flat Tax dans la limite d’un multiple de performance de x3 * x2 = x6. Au-delà, la plus-value sera traitée en salaire.
Une sécurisation des titres payants
Les actions ordinaires, de préférence, les BSA et autres titres payants bénéficieront ainsi d’une sécurité potentiellement plus intéressante, car si l’administration fiscale venait à démontrer qu’ils ont été acquis/souscrits en lien avec la fonction du bénéficiaire au sein de la société (ce qu’elle fait régulièrement aujourd’hui), le coût fiscal serait amoindri dans la mesure où uniquement une partie de la plus-value serait redressée en salaire, contre 100% aujourd’hui.
BSPCE et AGA, les grands perdants
Concernant les BSPCE et les attributions gratuites d’actions (détenus par nature en raison de la fonction du bénéficiaire au sein de la société), cet amendement serait (sauf à écarter de son champ ces instruments, ce qu’il ne fait pas) en revanche extrêmement pénalisant et souffre de nombreuses imprécisions, ce qui est d’autant plus surprenant que ces mécanismes sont encadrés par le législateur.
Les actions gratuites de préférence seront-elles rabotées ? Les actions de préférence gratuites et présentant un mécanisme financier d’accélération des gains en cas de performance auront une fiscalité mécaniquement plafonnée. Autrement-dit, les sénateurs considèrent que l’esprit du texte relatif aux actions gratuites n’est pas d’y loger des produits optionnels et souhaitent ainsi limiter le levier fiscal au sein de cette enveloppe.
Pourra-t-on revendre des actions immédiatement après leur acquisition gratuite ou après l’exercice de BSPCE ? Probablement non, car le texte exige que les titres « doivent présenter un risque de perte de leur valeur d’acquisition ou de souscription », ce qui n’est naturellement pas le cas lorsqu’ils sont revendus instantanément. Les BSPCE qui sont pour la plupart exercés au moment d’un évènement de liquidité seraient donc particulièrement affectés ainsi que les attribution gratuites d’actions ayant une période d’acquisition longue.
La plus-value réalisée lors de la revente d’actions issus de BSPCE sera-t-elle principalement soumise à l’impôt sur le revenu ? Les BSPCE étant généralement exercés lors d’un évènement de liquidité, la performance des capitaux propres pendant un instant de raison est égale à x1 si bien que la plus-value réalisée sur les actions issues des BSPCE et éligible normalement à la flat tax sera limité à x3 x1 = x3. Les actionnaires d’une licorne ayant réalisé une performance de x5 pourront bénéficier de la flat tax, tandis que des salariés ayant bénéficié de BSPCE seront plafonnés à x3. Pire encore, des bénéficiaires de BSPCE exerçant leurs bons (prix d’exercice de 1€) lorsque les actions ont une valeur de 10€ et revendant leurs titres lorsque l’action chute à 3,33€, auront une fiscalité intégralement à l’impôt sur le revenu car la flat tax sera plafonnée à une performance de 3,33/10 x 3 = 1. Une belle récompense pour des actionnaires qui auront pris un risque capitalistique en conservant leurs titres.
Le levier de x3 mentionné au sein du texte s’applique à la performance des capitaux propres, ces derniers seront-ils appréciés au sens large en tenant compte des obligations convertibles ? Si tel est le cas, le texte sera d’autant plus pénalisant car le multiple de performance des capitaux propres au sens large sera plus faible et par conséquence le levier fiscal également.
Enfin, le levier de x3 s’appliquera-t-il titre par titre où à la masse des titres du bénéficiaires ? Une structuration juridique au sein de laquelle un bénéficiaire réalise un multiple de x5 sera-t-elle fiscalement plus intéressante qu’une structuration au sein de laquelle certains de ses titres réalisent une performance de x2 et d’autres de x10, pour une moyenne pondérée de x5. Le texte semble indiquer que le traitement sera différent entre ces deux schémas dans la mesure où il distingue les titres en fonction de leurs dates d’acquisitions et donc par extension en fonction de leur nature. Le débat technique entre AGAO + AGADP ratchet ou AGADP ratchet avec composante ordinaire semble ainsi être tranché.
L’amendement souhaité par le Sénat offre il est vrai une légère sécurisation des instruments payants, tout en réduisant drastiquement (peut-être sans le vouloir, le diable est dans les détails) l’intérêt des BSPCE et des actions gratuites de préférence. Il en est autrement de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, qui ne souffre d’aucune imprécision, mais d’un manque total de pragmatisme et d’expérience du terrain.
Si le législateur souhaite réduire l’incertitude fiscale par un critère simple, l’une des pistes de réflexion serait d’admettre que la souscription d’un management package à sa juste valeur ou l’utilisation d’une enveloppe légale (BSPCE, AGA, SO) est un argument nécessaire et suffisant pour bénéficier du régime fiscal des actionnaires.
Actualité
Actualité